Gendô Hatsukoi est un vieux savant fou de Tokyo obsédé par ses recherches basées sur des thèses farfelues et des expériences pas toujours approuvées. Cet homme n’a qu’un objectif, faire de lui un Dieu. Pas de l’Homme en général, mais tout au moins de lui-même, les autres, on verrait plus tard. Plongé dans ses dissections, ses calculs, ses découvertes et ses désillusions, il n’a tout d’abord pas vu qu’il était espionné depuis quelques années par un être étrange.
Le 14 Janvier 1870, l’espion se manifesta. Il était américain. Ce n’était pas improbable, en cette année, le Japon avait entamé l’ère Meiji qui symbolise la fin de la politique d’isolement volontaire et l’ouverture du pays sous la menace des canons de l’expédition américano-européenne de Perry. Cette ère était aussi synonyme des bouleversements qui ont suivis : l'essor du commerce international et l'industrialisation du Japon, ainsi que son passage de la féodalité (abolition) à la 'modernité' occidentale (course aux technologies nouvelles et expansion de l'empire colonial, dans une perspective de partage du monde par l'occident). Résolument tourné vers la modernité, l'empereur Meiji invita à grands frais de nombreux spécialistes européens en fonction du domaine où excellaient leurs nations : militaires prussiens et français, ingénieurs britanniques, chimistes et médecins allemands, agronomes hollandais, etc. Cette époque était aussi caractérisée par l'expansion du territoire japonais, calquée sur le modèle occidental, la capitale politique et économique se basant nouvellement sur Edo, rebaptisée Tokyo. Bref, un américain se fondait parfaitement dans le paysage.
Mais cette homme là était spécial. Tout en lui était spécial, à commencer par son visage qui ressemblait plus à des morceaux de tissus grossièrement cousus entre eux qu’à un visage, puis sa tenue, une blouse blanche avec des gadgets qui en envoyaient avec leurs petits "bip" et les lumières clignotantes et enfin, ses paroles. Il se présenta sous le nom de Fileagan, docteur ès scientifique, chercheur émérité. Ses passions : l’Humanité, l’immortalité, Dieu. Son objectif : créer un humain à l’image de Dieu, parfait, et immortel. Les projets des deux hommes se recoupaient presque. L’entente était indubitablement prévisible. Jusque là, rien n’était vraiment notable, puis Fileagan parla de ses origines. Américain, oui, de cette époque, non. Il venait de l’an 2353 exactement. S’il avait su maîtriser le voyage dans le temps, c’était un génie, rien ne pouvait lui être impossible, Hatsukoi voyait déjà en lui sa future gloire. Il n’eut aucun doute sur les dires du scientifique lorsqu’il ôta son gant et lui tendit une main mécanique pour sceller le contrat.
En effet, Fileagan avait des projets. Ayant observé les travaux du savant -aussi- fou -que lui-, il avait décidé que les expériences concernant leur projet commun débuteraient ici-même, à Tokyo, à l’époque où ils se rencontraient. Hatsukoi, se servant de ses relations, fit accuser une jeune femme d’adultère et sa famille fut forcée de quitter la ferme familiale, un bâtiment immense et isolé qui serait une parfaite "clinique des naissances" pour leurs futurs protégés. Le coup était bas et perfide mais les lieux étaient si propices que Fileagan applaudit.
Les travaux scientifiques durèrent quatre ans. Et une première expérience débuta. C’est là que la "fille adoptive" de Gendô entra en jeu. Il l’avait achetée alors qu’elle n’avait que 12 ans, 4 ans auparavant, à de pauvres paysans du Kansaï. Il avait déjà un avenir tracé pour elle, mais vu que celui-ci ne débuterait pas avant un certain temps, il la plaça dans une okya, tout en finançant sa scolarité dans une école de geishas. La petite grandit sans vraiment voir son « père » et commença la vie active à 16 ans en tant que jeune maiko, apprentie geisha, très douée. Un an après ses débuts, son père la convoqua, Fileagan était là. Il lui expliqua que s’il l’avait achetée, c’était pour qu’elle soit le premier cobaye humain des expériences des deux savants. Hatsukoi tenait à ce que le premier Dieu humain soit un japonais, de sa famille, mais pas lui, au cas où les choses tourneraient mal. Comme la hiérarchie japonaise ne lui en donnait pas le choix, la jeune enfant Meiko se plia aux folies de son père et partie pour New York en 2360 le jour même, avec les deux hommes.
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Arrivés à destination, le choc fut rude pour la maiko, ce n’était pas la première fois que son père venait, mais pour elle, voir d’innombrables vieux buildings en métal rouillé, des voitures voler et un sol si loin sous cette structure qu’elle ne le voyait pas, tout ça au travers d’une baie vitrée de plusieurs mètres qui servait de cloison à un bureau où tout était immaculé, ou plutôt grisâtre et en matériaux inconnus la laissa bouche bée. De plus, les gens qui se pressaient dans les couloirs étaient hideux, certains n’avaient plus rien d’humain, ils étaient aussi déformés que Fileagan, de façon plus ou moins différente, à un degré moindre.
"Ne t’en fais pas Meiko, ceci s’appelle la nano-chirurgie. Tu n’y es pas tout à fait destinée."
Cette nano-chirurgie était la première étape vers la perfection de la race humaine. Depuis des années, les gens qui pouvaient se le permettre venaient se faire opérer pour remplacer des organes, des membres, ou des parties plus superficielles, et cette pratique beaucoup plus difficile et neuve que la chirurgie ne permettait plus de retrouver une apparence normale. Certains avaient des plaques entières de métal qui remplaçaient une partie de leur visage, une chemise ouverte qui laissait voir un ventre où des côtes artificielles saillaient, dévoilant entre elles des faux poumons ou tout autre chose. Meiko resta perplexe devant un homme dont la moitié du crâne n’était plus qu’un bout de plexiglas amélioré et transparent qui protégeait un cerveau parcouru d’étincelles. Ces gens étaient horribles et déformés. Ce futur, elle était heureuse de ne pas y être née, mais maudissait son père de le lui avoir fait connaître.
Arrivés dans un grand laboratoire asseptisé, Meiko fut déshabillée et lavée, puis fini installée sur une grosse table d’acier froid. Fileagan s’approcha et lui adressa un sourire plein d’espoir.
"Vous allez bientôt subir une opération, vous êtes la nouvelle génération de la nano-chirurgie. Aucune séquelle ne sera laissée sur votre corps, mais votre longévité et vos capacités physiques vont être considérablement augmentées. Vous serez notre première Déesse."
Elle n’eut pas lieu de répondre, un masque s’abattit sur son visage et un lourd sommeil l’emporta loin de cette pièce blanche… Qui serait son premier tombeau.
Deux heures après son anesthésie, la jeune fille ouvrit les yeux avec l’atroce sensation de ne plus sentir ses membres et de souffrir le martyre. Son esprit s’engourdit et avant que ses sens ne lui soient ôtées, elle entendit un long "bip" et une discussion entre les deux scientifiques. En fait elle ne comprenait pas, elle avait tout perdu sauf l’ouïe. Son dernier souffle n’avait pas encore été rendu.
"Pourtant nous avons remplacé les principaux organes !"
"Pas son coeur."
"Il faudra bien lui mettre un cœur mécanique pour qu’elle soit éternelle !"
"Mais elle n’a pas supporté la perte de sang, elle n’est plus qu’un tronc, vous avez voulu aller trop vite en lui coupant les membres au lieu de le faire un par un, les humains sont plus gros que les chiens, et nous n’avons plus beaucoup d’autres animaux sur Terre capables de servir de cobaye, mettez vous en tête qu’il faut s’adapter à cette matière à travailler…"
"Et bien continuons, ce cadavre permettra de nous entraîner. La prochaine fois je serai plus raisonnable."
"C’était votre fille, enfin, vous faites ce que vous voulez après tout… Ca n’a pas l’air de vous faire de peine."
"Elle ne m’a pas coûté bien cher."
Cette conversation qui n’avait duré que quelques secondes furent les dernières paroles que le premier sujet des expérience du projet "Ad Vitam", sacrifié, avait entendu.
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Une giclée de sang jailli de la gorge de Meiko et ses joues reprirent leur couleur originelle. Elle ouvrit les yeux, elle était dans une vitrine qui ornait à présent le bureau de Fileagan qui n’avait pas beaucoup changé. Il n’y avait personne, mais le temps qu’elle fasse un geste, la lumière s’alluma et le scientifique entra, suivi d’Hatsukoi qui avait atrocement changé. Il avait du vouloir s’habituer à cette nano-chirurgie, mais pas celle dont avait bénéficiée Meiko. Les deux hommes firent un bond en arrière quand la jeune femme plaqua les mains contre la paroi de plexiglas, un air d’incompréhension fiché sur le visage. Il accoururent, la libérèrent et l’installèrent sur un siège avant de faire de même autour d’elle.
"Mademoiselle que s’est-il passé ?"
"C’est à vous de me le dire, n’étais-je pas morte ?"
Son regard se tourna vers la grande baie vitrée où elle pu admirer son reflet. Il n’avait pas changé, à part peut-être la longueur de ses cheveux.
« Combien de temps…
"Presque un an. Estimez que vous êtes en 1876, la vraie date est 17 décembre 2360. Nous avons conservé votre dépouille parce que vous êtes…"
Fileagan ne termina pas sa phrase, il n’osait pas avouer que sa beauté méritait d‘être encadrée, surtout que si elle était là, c’était pour qu’ils observent les changements du temps sur son corps et qu’ils comprennent leur erreur, pas pour se soulager la rétine qui n’était plus vraie depuis longtemps d’ailleurs. C’eut été blessant pour cette jeune femme que d’apprendre que même après la mort, son père avait continué à bidouiller son cadavre.
Mais le résultat était là, Meiko était le premier Dieu par essence, le premier être à ressusciter. Après mûre réflexion, dans un souci de comparaison, son bras et sa jambe gauches lui avait été regreffés sans être modifiés, cependant toute la partie droite de son corps était mécanique. L’hémisphère droite de son cerveau, son œil droit, un de ses poumons, un de ses reins, sa rate, son foie et sa jambe. A gauche, seul son cœur était factice. Elle était plutôt un demi-dieu selon leurs critères, mais elle avait désormais –en partie- des capacités surhumaines, elle avait ressuscité, et son cœur ne s’arrêterait que lorsqu’il serait détruit. Ses membres n’avaient plus d’articulation propre et pouvaient onduler à volonté même s’ils restaient construits sur la structure d’une base normale. Son œil droit pouvait voir sous différents modes (thermique, normal, noir et blanc, nyctalope, etc.). Mais en soi, rien n’avait changé, elle ne sentait même pas en effleurant sa jambe droite que sous celle-ci s’accumulaient des masses de technologie futuriste.
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En tant que savant fou, Fileagan avait en fait une vision plus grande de la suite des évènements. Son but était de créer une armée tout d’abord, pour asservir le monde, s’en faire le Dieu Tout Puissant, et le peupler de gens parfaits. Quand Meiko s’était réveillée, la solution lui était apparue claire comme de l’eau de roche. Il devait opérer sur des morts. Mais avant, il fallait tester Meiko.
Elle retourna au Japon après avoir été informée de tout le projet. A 18 ans, elle repris ses fonctions de geisha tout en étant sévèrement soumise à un entraînement physique rude et intensif afin de mettre à l’épreuve son nouveau corps et d’en analyser les limites. Elle n’en avait pas beaucoup, mais ces limites ne pourraient jamais être dépassées, elle ne pouvait être un dieu, elle était condamnée à l’oubli, expérience ratée dont l’utilité surviendrait plus tard.
Dans la même année, la jeune femme retrouva son amant qui l’enfanta. Son père en profite. A la naissance de sa petite-fille, Jun (contraction de Junsui, pureté) il menaça Meiko. Si elle venait à avouer son secret, l’enfant serait abattue. A titre préventif, il régla le sort du père, Keitarô Hanobu. Meiko se retrouvait seule, geisha, avec un enfant à charge. Mais elle réussit à vivre. Après tout, elle n’était pas devenue geisha parce qu’elle le voulait, elle était devenue geisha parce qu’elle n’avait pas le choix.
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Sujet: Histoire 
Ven 9 Mar - 0:28
